Court-métrage : Eût-elle été criminelle…

 

Passeur de mémoire

Jean-Gabriel Périot est un réalisateur de courts-métrages. Il travaille essentiellement à partir d'images d'archives qu'il anime avec un style qu'on pourrait définir comme expérimental. Grâce à un travail de montage très pointu il réalise des films à partir d'images cherchées patiemment et apporte sa contribution à la lutte contre l'oubli. Il interroge aussi le futur, nous fait à la fois réfléchir à la société contemporaine mais aussi aux faits d'histoire passés. Ce n'est plus vraiment du documentaire et pas de la politique, c'est un travail artistique engagé et intelligent. Plans fixes, accumulations d'images, cadrages partiels, musique. Ici tout nous interpelle... Impressions

 

Eut elle été criminelle France, été 44...

Ce n'est pas un film ou un documentaire ordinaire que nous voyons là. Tout commence par un flux d'images saccadées retraçant en quelques minutes les débuts de la seconde guerre mondiale, jusqu'à la libération.

Images ultra rapides de l'arrivée du nazisme, la déclaration de la guerre, les bombardements, la France en ruines, les grandes messes d'Hitler, instants ou Vichy se met en place, Laval, Pétain, puis de nouveau les bombes, le débarquement, puis la France qui se libère peu à peu de l'occupant, avec les milices dans Paris, les derniers combats de rue.

Tout cela paraît normal, on voit des gens heureux, des sourires, des hommes et des femmes qui vivent le bonheur d'être enfin sortis de la guerre, c'est la liesse dans la rue...

Pourtant au fur et à mesure que la caméra se déplace, commence à apparaître certains visages pleins de cruauté, des regards hypnotisés, par les plans de caméra élargis, on voit maintenant qu'il y a des femmes de tous âges poussées sans ménagement, certaines sont frappées.

Autour d'elles, la foule compacte semble à la fois étonnée, satisfaite, aussi cruelle et en attente... Elles sont entourées par d'autres hommes et femmes qui les montrent, les poussent, les insultent.. Elles sont rasées assises ou debout, leurs cheveux tombent et certaines pleurent, essaient de garder leur dignité, d'autres encore semblent basculer dans la folle. Elles subissent l'humiliation ultime d'être rasées. Leurs cheveux tombent par terre, pendant que les gens sourient, se réjouissent à ce spectacle...

Rien ne semble pouvoir arrêter les tortionnaires, c'est comme si les spectateurs ne voyaient pas l'horreur et la honte que représente la scène dont ces femmes sont victimes là, devant des centaines de personnes.

Elles sont là, « les poules à boches », accusées d'avoir eu des relations avec des allemands, considérées comme des traîtres. Certaines ont des croix gammée peintes sur le front, symbole de la vengeance d'un peuple qui a vécu de longues années de guerre et qui dans sa folie ne discerne plus la honte de ses agissements. Certains hommes avec des brassards les touchent, et posent fièrement à leurs côtés comme des chasseurs qui auraient capturé une bonne prise, les femmes ne semblent plus représenter autre chose que des proies impuissantes, elles ne sont plus des humaines, mais des « choses », des animaux... Pas de tribunal. Comment survivre après cela ? Eût-elle été criminelle nous laisse des questions auxquelles, nous ne pouvons répondre : Qu'aurions-nous faits, nous devant un tel spectacle ? Aurions-nous regardé cette horreur ou réagi ? Ces femmes, comment ont-elles pu vivre après cela ? Étaient-elles coupables d'ailleurs ? Qui a décidé qu'elles l'étaient ? Est-ce qu'un peuple qui a beaucoup souffert a le droit de régler ses comptes de cette façon ?

 

Par Julien M, William, Riziène, Femand, Eduardo, Tigre
Le Fanz', 2011